Revue vaudoise de généalogie et d'histoire des familles 2022
L'identité : réflexions et mises en perspectives
Sommaire
- ROCHAT Loïc, LAGGER Simon, Éditorial
- KELLERHALS, Jean, WIDMER, Eric, Quelques résultats sociologiques sur les transmissions identitaires présentes dans les récits familiaux
- PIRET, Bertrand, L’appartenance et l’identité familiale
- GISEL, Pierre, Généalogie et identité : La filiation dans la Bible juive, le christianisme, la modernité et le contemporain
- BÜHLER, Axel, Généalogie et chronologie dans la Bible hébraïque : Définir son identité à travers l’espace et le temps
- CHAPPUIS, Loraine, Les enfants naturels dans leur famille à Genève au XVIIIe siècle : nom, identité et filiation
- GENDREAU-HÉTU, Pierre, D’identité et d’hérédité : étude de cas autour d’ancêtres Bettex
- QUÉMER, Pierre-Yves, Conflits de nomination à Genève à l’époque de Calvin. La controverse autour du nom Claude
- THÉVOZ, Jean-Marie, Une identité à risque : le cas du Feldwebel Thévoz
- PIÈCE, Pierre-Yves, Rapport présidentiel présenté à l’assemblée générale du 13 novembre 2021, Maison de Ville de Villeneuve
- Index
Editorial
Loïc Rochat et Simon Lagger
10 ans ! Née en 2012, la Revue vaudoise de généalogie et d’histoire des familles (RVGHF) fête ses dix ans avec ce numéro thématique. C’est l’occasion pour le comité qui la porte depuis sa création de procéder au premier bilan d’une aventure éditoriale bénévole et passionnante.
Dès sa première édition, la RVGHF montre une forme moderne et vivante, d’où son format original quasiment carré (210 x 220 mm.) et sa couverture de couleur différente d’année en année. Sur le fond, elle fait de la généalogie, de l’histoire de la parenté, de l’individu et des réseaux son créneau privilégié. Vaudoise, elle s’ouvre aussi à des territoires voisins dans sa rubrique « Les invités » dont elle entreprend de faire le tour1. Quelques repérages bibliographiques apparaissent chaque année sous « Nos lectures », ils permettent aux passionnés de s’informer sur les parutions marquantes du moment.
Sur onze publications, on observe une alternance de numéros thématiques (5) et de mélanges (4) qui a permis tantôt de s’arrêter sur des sujets spécifiques tout en donnant la possibilité à des chercheurs aguerris ou débutants ainsi qu’à des membres actifs du Cercle vaudois de généalogie de publier. L’expérience a montré que les numéros dédiés à une thématique étaient plus exigeants en travail de coordination mais attiraient plus facilement l’intérêt des lecteurs, donc les ventes en librairies et l’attention des médias aussi.
L’entente cordiale et la bonne collaboration existant entre le comité de la Revue et la maison d’édition ALPHIL a été dès le départ très constructive ; autant que la confiance accordée par le comité du Cercle vaudois de généalogie sur le long terme au rédacteur en chef a permis de développer les aspects évoqués ci-dessus avec succès.
Le comité de la RVGHF
La règle qui prévaut au sein du comité de la RVGHF est celle du « à chacun son tour ». Par principe, les co-rédacteurs se succèdent au gouvernail de la coordination d’un numéro année après année. Le tableau ci-contre indique cette alternance aussi bien que ses exceptions qui montrent la souplesse d’une équipe dynamique. Qui sont les artisans de cette Revue ? Après 10 ans de collaboration, nous profitons de cet éditorial jubilaire pour faire un arrêt sur image et présenter la composition du comité.
A la suite de Gilbert Marion, rédacteur du Bulletin généalogique vaudois (BGV), et sur proposition de Loïc Rochat lors de l’Assemblée générale du Cercle vaudois de généalogie à Echallens (2010), la publication annuelle du Cercle devient officiellement la Revue vaudoise de généalogie et d’histoire des familles lors de l’Assemblée générale tenue à l’ancien Arsenal de Morges en décembre 2011.
Tout en développant les premiers numéros, une équipe de rédaction est mise sur pied dont voici les membres :
Jasmina Cornut adhère au Cercle vaudois de généalogie en 2013 peu avant l’obtention de sa maîtrise ès Lettres en Histoire et Français moderne. Elle continue ses recherches en histoire en tant qu’assistante diplômée en Section d’histoire moderne à l’Université de Lausanne. Dès 2018, elle officie comme intendante-historienne au Domaine de La Doges, siège de la section vaudoise de Patrimoine Suisse (La Tour-de-Peilz) et travaille en parallèle comme médiatrice culturelle au Château de Morges à partir de 2021. Elle est nommée depuis le 1er juillet 2023 au poste de conseillère Patrimoine culturel à l’Etat du Valais et assurera la gestion du dispositif de soutien « science et patrimoine ». En octobre 2023, elle défend sa thèse de doctorat : Femmes d’officiers militaires en Suisse romande : implications, enjeux et stratégies de l’absence, XVIIe-XIXe siècles.
A peine nommé directeur de l’Etablissement scolaire de Genolier et environs, Simon Lagger entre au comité en 2013 également. Il publie le premier article de tête de la Revue sur la base de son sujet de mémoire de maîtrise ès lettres intitulé « Vous allés travailler, mes chers amis, à devenir des hommes de mérite » La relation à distance entre un père et ses enfants à l'aune d'un projet de formation nobiliaire de la fin du XVIIIe siècle en Pays de Vaud. Après un apprentissage initial dans le domaine de la viticulture (1999), Simon Lagger obtient un diplôme d’enseignement aux degrés préscolaire et primaire en qualité de maître généraliste à Lausanne (2004). Il enseigne plusieurs années et entreprend des études en histoire et français médiéval à l’Université de Lausanne. Après quelques années d’activités comme cadre dans l’économie privée, il revient à l’enseignement.
Dès 2016, le comité de la RVGHF est rejoint par Lucas Rappo alors qu’il rédigeait sa thèse de doctorat intitulée Parenté, proximité spatiale et liens sociaux de l’Ancien Régime à la Suisse Moderne. Le cas de Corsier-sur-Vevey de 1700 à 1840. Défendue en 2021, il travaille ensuite comme collaborateur scientifique au Collège des Humanités de l’Ecole polytechnique fédéral de Lausanne (EPFL) dans le cadre du projet « Lausanne Time Machine ». Ce projet vise à fédérer les recherches concernant la région lausannoise autour de méthodologies et de technologies communes. Il rassemble les institutions de recherche, du patrimoine, la municipalité, les parties prenantes et les citoyens pour promouvoir des projets numériques autour du patrimoine culturel comme notamment le cadastre, les recensements ou l’iconographie locale.
Dès le début, Pierre-Yves Favez est de la partie. Il est président fondateur du Cercle lors de l'Assemblée constitutive tenue le 31 octobre 1987 dans la Salle du Conseil communal de Lausanne. Il obtient une maîtrise ès lettres en histoire médiévale à l’Université de Lausanne, puis travaille comme archiviste spécialiste en généalogie, héraldique et paléographie aux Archives cantonales vaudoises (ACV). M. Favez a inspiré et soutenu un nombre incalculable de chercheurs, étudiants, doctorants, professeurs ou amateurs durant son activité professionnelle. Durant des décennies, rencontrer M. Favez en salle de lecture des ACV a été une aubaine pour tout historien, sa participation au comité de la Revue est précieuse.
Loïc Rochat est heureux d’avoir pu monter son équipe sans contrainte dans le seul but de créer une revue historique spécialisée en généalogie, histoire de la famille et de l’individu. Ensemble, les membres du comité de la Revue, soutenus par le comité du Cercle, ont mené ce projet avec succès sur une décennie, qu’ils soient tous remerciés très chaleureusement pour leur enthousiasme, leur ténacité et leur grand intérêt pour la recherche en histoire de la famille.
Bientôt, le comité intégrera progressivement de nouvelles forces dans l’optique de conduire une deuxième décennie sous les mêmes auspices que la première. Nous aurons le plaisir d’accueillir : Sylvie Poidras-Bohard, titulaire d’une maîtrise en histoire médiévale de l’Université de Besançon, qui est enseignante secondaire en histoire et géographie à Genolier. Elle mène en parallèle une recherche de thèse de doctorat en histoire moderne sur les prénoms dans les pays jurassiens entre le XIIIe siècle et le XVIIe siècle ; et Olivier Rendu, au bénéfice d’une maîtrise en archéologie et histoire de l'Université de Lausanne, actuellement doctorant en histoire moderne et en cours de rédaction d’une thèse sur les élites rurales de Suisse occidentale entre 1680 et 1850 au travers des exemples des familles Fattebert (Villars-Bramard) et Guillierme (Lancy). Tous deux membres du Cercle vaudois de généalogie, nous leur souhaitons la plus cordiale des bienvenues.
Les défis ?
Un nombre certain de défis attend la RVGHF dans les années à venir. Globalement, nous assistons à une érosion importante du nombre de membres du Cercle, ce qui sous-entend une réduction des abonnés classiques à la Revue et donc une perte de financement fondamentale. Ensuite, quel est l’avenir d’une revue publiée au format papier ? N’est-il pas plus aisé et économique de la sortir sous sa seule forme numérique ? Pourtant, les abonnés apprécient de recevoir ses numéros, de les lire bien en mains et de les collectionner dans leur bibliothèque personnelle, pourquoi donc s’en priver ? Ce sont des questions que le comité de la RVGHF se pose déjà afin de prendre les mesures adéquates pour assurer prioritairement la survie de la Revue. Un processus de diffusion a été initié en collaboration avec la plateforme e-periodica exploitée par la bibliothèque de l'ETH à Zurich, l’objectif est de permettre l’accès direct à la Revue en ligne sans pour autant renoncer à sa publication physique.
Pour conclure ce petit retour d’expérience, le comité de la Revue remercie les membres du Cercle et les abonnés divers pour leur intérêt et l’expression régulière de leur satisfaction à chaque sortie d’un nouveau numéro. Vive les dix prochaines années en commençant par ce onzième numéro que nous présentons maintenant.
Sujet complexe et parfois controversé dont les frontières sont difficilement définissables sans emprunter à diverses disciplines, la notion d’identité fait plus que jamais l’objet de nombreux débats. Qui sommes-nous, qui suis-je, qu’est-ce qui fait que nous sommes qui et ce que nous sommes ? Quel est l’empreinte de la famille, de la filiation, de la génétique, du récit familial sur notre ou nos identités ?
Au cours du XXe siècle, l'étude de l'identité a connu une évolution significative au sein de l'historiographie. Les chercheurs en sciences sociales ont exploré les multiples dimensions de l'identité individuelle et collective, remettant en question les anciennes conceptions et proposant de nouvelles approches pour comprendre les dynamiques complexes qui façonnent les sociétés2.
Il revenait à la Revue vaudoise de généalogie et d’histoire des familles de proposer un dossier thématique alimenté des articles de différents spécialistes que nous sommes allés chercher dans plusieurs disciplines. Ainsi vous aurez la possibilité de découvrir dans les lignes qui suivent l’article de Bertrand Piret, avec une approche psychanalytique, qui explore les liens et influence entre la famille et l’identité imaginaire ou symbolique particulièrement dans une période où la composition des familles se diversifie et donc se complexifie.
Jean Kellerhals, professeur honoraire de sociologie à l’Université de Genève et Eric Widmer, docteur en sociologie de la même Université abordent la famille comme lieu privilégié de la construction identitaire en relation avec les mutations sociales qui font la part belle à l’individualisme. Alors que les parcours de vie s’auto-centrent de plus en plus, ils interrogent les logiques de transmission de l’identité familiale. Ils démontrent que l’injonction moderne au bonheur dans les parcours de vie limitent les transmissions intergénérationnelles sans pour autant les annihiler.
Sur le fond de la crise contemporaine des filiations et des généalogies dans lesquelles se nouaient les identités, le texte de Pierre Gisel revisite notre histoire et ce dont nous héritons. Il relit d’abord ce que donne à voir la Bible juive en ces matières, montre ensuite la rupture qu’y opère un christianisme déclassant les généalogies liées à des peuples particuliers, examine enfin ce qui se cristallise en modernité. Il conclut par des perspectives qui décalent le contemporain, reprenant à nouveaux frais ce qu’il peut en être des généalogies et des différences au cœur de nos sociétés
Dans le même sillage théologique, Axel Bühler aborde la définition de l’identité à travers l’espace et le temps par le biais de la généalogie et la chronologie dans la Bible hébraïque. A compléter…
Loraine Chappuis, quant à elle, étudie l’expérience de l’illégitimité des enfants naturels à Genève de la fin du XVIIe siècle à la fin du XVIIIe siècle. Dans une perspective d’histoire sociale, elle s’intéresse à leur intégration et à leur identité familiale en se fondant sur une documentation variée comprenant des sources juridiques, paroissiales et hospitalières ainsi que des requêtes liées à l’état civil, centrales pour les questions de filiation. Elle montre que, malgré un fréquent mouvement de rejet qui s’exprime autour de la naissance, les enfants naturels sont souvent accueillis dans une branche de leur famille. Une fois la honte du scandale surmontée, il arrive fréquemment que l’un des parents intègre l’enfant illégitime de sorte qu’il soit accepté et aimé, ce que signalent les transmissions dont il bénéficie, que celles-ci soient matérielles, ce qui comprend l’éducation et l’héritage, ou symbolique, ce qui inclut le nom et les stratégies matrimoniales. Toutefois, la présence d’autres enfants, légitimes, entraînent souvent une inégalité de traitement qui exprime la hiérarchie des naissances et qui traduit l’identité illégitime.
Pierre Gendreau-Hetu, membre du comité du Cercle, aborde la notion de filiation et donc d’identité par le biais de la génétique. Il utilise une méthodologie qui s’appuie sur les données classiques et génétiques pour explorer une souche vaudoise Bettex documentée dès 1500. Ce cas à la fois romand et québécois illustre la portée de la mixité empirique, alors qu’on découvre au prolifique émigré Jacob Bettex (1733-1807) une biologie incompatible avec son ascendance paternelle légitime. Ce faisant, il met en exergue que le repérage historique d’une fausse paternité dans un patrilignage patronymique ne va pas sans bousculer l’ordre établi.
L’article de Pierre-Yves Quémener aborde la question de l’identité sous l’angle onomastique avec une étude du prénom Claude qui bénéficia d’une faveur exceptionnelle dans le pays de Genève et en Franche-Comté à la fin du Moyen Age. Associé à l’idée de survie, il était devenu le troisième nom le plus fréquent à Genève dès la seconde moitié du XVe siècle. Il met en exergue le rôle que Calvin, en arrivant à Genève en 1541, a joué dans l’éradication des pratiques superstitieuses et comment les noms de baptême, fréquemment issus du panthéon des saints martyrs et confesseurs, contribuaient indirectement à maintenir vivace le culte des saints et des reliques qu’il s’efforçait de combattre. Il montre que la purge du répertoire onomastique fut l’une des solutions mises en œuvre par le réformateur pour arriver à ses fins bien que l’application de la mesure fût difficile car elle bouleversait les usages séculaires du parrainage qui cimentait les solidarités sociales.
Jean-Marie Thévoz aborde le parcours d’un sergent de l’armée du IIIe Reich sur le front de l’Est. Animé de questions suscitées par sa curiosité, il cherche à savoir qui il est. D'abord, qui est-ce ? A quelle branche de la famille peut-on le rattacher et quel est son rôle dans les évènements troublés de cette période ? Alors que le régime nazi avait fait de l'identité et des origines (aryennes ou juives) une question de vie ou de mort, quel rôle le patronyme Thévoz joue-t-il dans ce contexte ? L'auteur livre ici les résultats de sa recherche historique et généalogique qui ne manquera pas de retenir votre intérêt.
En espérant que ce numéro anniversaire soit non seulement remarqué mais lance la Revue dans une nouvelle décennie prometteuse, nous vous en souhaitons une excellente lecture.
1 Valais (2013), Neuchâtel (2014, 2017), Genève (2016, 2017), Fribourg (2019), Tessin (2013), Franche-Comté (2022).
2 Dubar, Claude, « Polyphonie et métamorphoses de la notion d’identité » in Revue française des affaires sociales, Éditions : La documentation française, 2007/2, pp. 9-25.