Revue vaudoise de généalogie et d'histoire des familles 2016
Éditorial
GENDREAU-HÉTU, Pierre, Pierre Miville, Jacob Bettex et lignées ADNy : sur la piste génétique de souches romandes du Québec
- PAVILLON, Olivier, Les Pavillon : du laboureur au notaire, destin d’une famille paysanne de l’arrière-pays morgien, du XVIIIe au début du XXe siècle
- DE SCHOULEPNIKOFF, Chantal, La famille de Schoulepnikoff de la Russie au canton de Vaud
- BASTIAN, Jean-Pierre, Une émigration vaudoise en Nouvelle Russie : la colonisation de Chabag en 1822
- PEROZ, Anne, Contribution à l’histoire du droit de la famille : le lien matrimonial de l’Antiquité à la loi fédérale du 24 décembre 1874 sur l’état civil, le mariage, et la tenue des registres
- ATHANASOULI, Anna, Innovation politique, stratégies matrimoniales et parenté spirituelle : le cas des révolutionnaires de la commune du Chenit (1780-1815)
- RAPPO, Lucas, Alliances matrimoniales chez les familles de notaires de Corsier-sur-Vevey au XVIIIe siècle
- FAVEZ, Pierre-Yves, La famille Mestral de Begnins, de la roture à la noblesse (XIIIe-XVIIe siècles)
Nos invités :
- DENIS, ROHRER, Les de Bry : une famille européenne de graveurs des XVIe et XVIIe siècles
- BORGEAT, Michaël, Les sires d’Arbignon. Essor et implantation dans le Chablais du XIIIe siècle : des stratégies matrimoniales mises à contribution
Editorial
Loïc Rochat et Jasmina Cornut
Cette année votre Revue renoue avec un numéro de mélanges après deux numéros thématiques à succès ! Si le volume consacré aux horlogers (2014) est déjà épuisé, celui traitant des carrières d’architectes vaudois (2015) est en passe de l’être également bientôt. En effet, peu après sa sortie, une première présentation sur deux pleines pages du journal A Suivre… (n°71, pp. 4-5) – bulletin de la Section vaudoise de Patrimoine suisse – lui assure une visibilité auprès des quelque 1'500 membres de cette société. Quelques semaines plus tard, le magazine de l’Université de Lausanne Allez savoir (n°65, p. 41) prend le relais et lui consacre un compte-rendu intitulé « Bâtisseurs méconnus ». Début février, nous apprenons que notre revue est sélectionnée parmi les Coups de cœur de la librairie Payot, elle se trouve ainsi en vente libre en magasin et exposée au rayonnage. C’est une première ! En mars, le magazine suisse de l’économie immobilière Propriété présente à son tour ce numéro sous le titre « Dynasties d’architectes vaudois » (n°1, p. 36) et débute ainsi : « Beau travail de mémoire que celui effectué par le Cercle vaudois de généalogie […] ». Nous retenons de cette expérience qu’un numéro thématique requiert sans doute plus de travail en matière de recherches de contributeurs puis de coordination. Par contre, le résultat semble finalement exercer un attrait plus important et permettre une meilleure commercialisation.
Le numéro que voici a été quasiment plébiscité par ces quelques contributeurs qui vous offrent ici le résultat de leurs recherches. La conception et la conduite de ce volume ont été assurées par Jasmina Cornut, co-rédactrice de la RVGHF et assistante diplômée en section d’histoire. Il s’agit de la 29e publication du Cercle vaudois de généalogie qui s’approche de plus en plus de son 30e anniversaire.
Cette année, notre article de tête propose une étude de cas à travers un prisme à la fois original et novateur : celui de la généalogie génétique. En effet, au sein sa recherche, Pierre Gendreau-Hétu s’intéresse à l’ADNy typique des lignées masculines émanant du Fribourgeois Pierre Miville et du Vaudois Jacob Bettex. Très peu de Suisses ont peuplé le Québec ancien et ces deux pionniers romands des 17e et 18e siècles méritent d’autant plus l’attention qu’ils sont les ancêtres biologiques de millions (!) de Québécois. Cette population porte des « signatures » ADN patrilinéaires que la généalogie génétique établit à l’aune des sources documentaires. Les ancêtres Miville et Bettex ont généré des lignées chromosomiques qui invitent à retracer et valider les souches suisses dont on les croit dériver. Des résultats partiels vers cet objectif suffisent à illustrer la pertinence de la généalogie expérimentale dans l’étude du peuplement des Amériques par les pionniers européens. L’analyse de Pierre Gendreau-Hétu démontre ainsi comment les avancées spectaculaires de la génomique actuelle peuvent venir renouveler et enrichir la discipline généalogique.
Dans une démarche généalogique et historique plus traditionnelles, les trois premiers articles de ce numéro se penchent sur la question de la migration. L’immigration ou l’émigration constituent le socle de nombreuses trajectoires vaudoises actuelles. Les deux premiers contributeurs retracent ainsi parcours de leurs ancêtres immigrés en Suisse.
Olivier Pavillon esquisse l’histoire de la famille Pavillon, du premier réfugié huguenot installé dans la région morgienne, au début du 18e siècle jusqu'aux notaire - agent d'affaires – instituteurs - géomètre et enseignant secondaire de la première moitié du 20e siècle. II montre d’abord que la problématique du refuge sous l’Ancien Régime n’est pas sans offrir quelques ressemblances avec le statut actuel du réfugié ! Il décrit ensuite l'accession à la possession de la terre, puis le morcellement consécutif aux partages patrimoniaux, la dispersion hors de la commune d'origine (Chardonney), l'abandon du monde rural et l'accession - parfois mouvementée – à la petite et moyenne bourgeoisie, dessinant ainsi un parcours emblématique de nombreuses familles vaudoises d'origine rurale.
C’est également l’histoire mal connue de sa famille que Chantal de Schoulepnikoff, retrace dans son article. L’auteure met en lumière le parcours migratoire du diplomate russe Michel de Schoulepnikoff (1824-1902), ainsi que de sa famille. A l’instar des Rumine, auxquels Michel de Schoulepnikoff est étroitement apparenté, celui-ci s’installe en Suisse avec les siens. Au travers de riches archives familiales, Chantal de Schoulepnikoff relate les itinérances de ce fin lettré, diplômé en langues orientales et excellent pianiste qui voyage avec sa famille à travers l’Europe avant de se fixer à Veytaux près de Montreux. Très croyant et préoccupé par les questions sociales et religieuses, il se rapproche progressivement de l’Eglise évangélique protestante et consacre les dernières années de sa vie à évangéliser les ouvriers italiens de la région de Lausanne, Montreux et Vevey. Le fils de Michel, Nicolas, ingénieur, devient professeur à l’Ecole polytechnique, épouse une Suissesse, Caroline Glardon, et obtient la naturalisation suisse. La descendance de ce couple est ancrée dans le canton de Vaud.
Si les Pavillons et les Schoulepnikoff ont pris le parti de venir s’installer dans l’espace vaudois, d’autres en revanche décident de le quitter pour un avenir meilleur. Sur la base de la source inédite que représente l’édition du « Journal de voyage » de François-David Noir, Jean-Pierre Bastian reprend à nouveau frais l’analyse de la migration des Vaudois de Lavaux à Chabag en Bessarabie en 1822 afin d’établir une colonie viticole. Il s’intéresse aux conditions structurelles, endogènes et exogènes, conduisant au processus de colonisation. Afin de comprendre les causes d’une telle émigration, il reconstruit aussi bien les liens de parenté que les liens de dépendances entre l’initiateur du projet, le veveysan Louis-Vincent Tardent et les vignerons qui l’accompagnent. Pour ce faire, il tente de comprendre la personnalité du fondateur de la colonie et le milieu social qui l’a produit. Une telle recherche participe aussi bien d’une sociologie historique de l’émigration vers la Russie que d’une analyse des réseaux sociaux.
Ce numéro de la Revue 2016 fait en outre la part belle aux ascensions sociales et professionnelles de familles vaudoises à travers le prisme de leurs stratégies matrimoniales.
La recherche d’Anne Peroz pose le cadre juridique de la question du mariage. Elle analyse en effet l’histoire de la formation du lien matrimonial et de ses possibilités de rupture depuis l’Antiquité romaine, en passant par l’époque médiévale et la période moderne, jusqu’à la loi fédérale suisse du 24 décembre 1874 réglant l’état-civil, le mariage, et la tenue des registres s’y rapportant. L’auteure montre que, de façon constante et dans toute société, l’institution du mariage constitue l’expression d’une morale, des mœurs, et reste au centre des enjeux de pouvoir. L’analyse d’Anne Peroz permet de mieux contextualiser les pratiques matrimoniales et d’éclairer les stratégies sociales des acteurs dans les articles qui suivent, notamment celui d’Anna Athanasouli, qui se penche sur des lignées familiales de la Vallée de Joux. Elle analyse ainsi les stratégies parentales des principaux protagonistes des conflits politiques ayant éclaté dans la commune du Chenit pendant la dernière décennie du XVIIIe siècle ainsi que durant la période de l’Helvétique (1798-1803). En se focalisant sur les choix matrimoniaux, les rapports de parrainage et les solidarités professionnelles au sein d’un groupe de révolutionnaires qui désirent réformer l’administration de la commune, elle met évidence le rôle important de ces facteurs qui favorisent l’émergence, l’organisation et la solidification d’une faction politique innovatrice. A l’inverse, l'auteur vise à explorer l’impact des fortes transformations politiques qui caractérisent le tournant du XIXe siècle en lien avec les choix familiaux des personnes étudiées.
C’est également à travers le prisme des alliances matrimoniales que Lucas Rappo se penche sur les notaires de Corsier-sur-Vevey au XVIIIe siècle. Cette étude, qui se fonde sur les registres de paroisse, met en lumière les variables de l’origine sociale et géographique des épouses de notaires. Les alliances présentées démontrent une tendance à la reproduction sociale dans ce cercle de l’élite locale, les notaires ayant également une place centrale dans l’appareil politique et judiciaire sous l’Ancien Régime.
Pierre Yves Favez met quant à lui en exergue l’ascension de la famille Mestral de Begnins sur près de trois siècles (1336-1619/1627) et neuf générations. Déjà attestée en 1266, cette lignée d’agriculteurs apparemment aisés accède à la fin du XVe siècle au notariat dont la pratique l’enrichit considérablement en trois générations, ce qui lui permet de se hisser dans les rangs de la noblesse locale peu avant 1473, puis de finalement détenir deux petites seigneuries (Marcins et Rupalex) et de posséder l’une des plus grosses fortunes de la région. Propriétaire de deux châteaux à Bursins, son intégration dans l’aristocratie locale se marque aussi par ses alliances matrimoniales avec les familles de Dully, de Gruyère-Aigremont et de Senarclens, avant de s’éteindre dans celle de Diesbach. A part un cas de commissaire à terriers, la famille ne semble avoir occupé aucun poste administratif ou militaire. Son cas n’est pas isolé, puisqu’on retrouve une trajectoire similaire pour d’autres familles de cette époque, comme les Evrard de Nyon.
Les stratégies matrimoniales se retrouvent également au cœur des analyses de « nos invités », rubrique qui nous fait voyager hors des frontières vaudoises.
Denis Rohrer retrace ainsi l’histoire de trois générations d’une famille de graveurs liégois puis suisses de l’époque moderne. En replaçant ses membres dans le contexte de l’époque, il essaie de découvrir les motivations qui poussèrent Théodore de Bry, alors orfèvre, à se lancer dans la gravure sur cuivre. Puis, il suit son fils Jean-Théodore, érudit passionné d’alchimie. La troisième génération est représentée par Matthieu Merian, le célèbre graveur suisse du XVIIe siècle, héritier de l’atelier par mariage. Innovations, créations de succursales, réseaux internationaux, succès et ruines accompagnent les activités du clan et révèlent une modernité alors en plein devenir.
Plus près de chez nous, Michaël Borgeat analyse quant à lui les jeux d’alliance mobilisés au XIIIe siècle par les sires d’Arbignon, famille féodale chablaisienne. À la lumière de chartes diplomatiques générées par l’activité de chancelleries ecclésiastiques, soit celle de l’abbaye de Saint-Maurice, il révèle les stratégies d’essor et d’implantation des Arbignon pour se hisser dans l’échelle sociale de l’aristocratie et étendre ses possessions foncières de la Morge de Conthey jusque sur les territoires du Chablais français. En ciblant son champ d’investigation autour d’un corpus de sources homogène, soit une documentation issue principalement du Minutarium Majus et complétée par les documents relatifs à L’Histoire du Valais recueillis et publiés par Jean Gremaud, Michaël Borgeat reconstitue également le tableau généalogique complet d’une des familles les plus importantes du chablais médiéval.
Enfin nos comptes rendus de lecture font le point sur les dernières recherches en matière d’histoire de la famille et de la parenté.
Bonne lecture !